david in winter

david in winter

Editeur. Ecrivain. Dilettante

jeudi 8 août 2013

Crime et châtiment (II) : loi barbare, ou loi chrétienne ?



    --Mais vous voulez en revenir aux lois barbares!, s'entend-on rétorquer mécaniquement lorsque l'on propose de remplacer par une compensation monétaire en faveur de la victime  la peine, capitale ou d'emprisonnement, usuellement appliquée à l'auteur d'un crime.
    Lois barbares?
    Dans La monarchie franque , qui forme le troisième tome de son Histoire des institutions politiques de l'ancienne France, l'admirable historien que fut Numa Fustel de Coulanges a étudié exhaustivement cette question , en dépouillant et analysant absolument toutes les sources de l'époque,  lois, formulaires, édits royaux, chroniques etc.
   Voyons ce qu'il en est.
   Notons d'abord que dans les textes juridiques ( tous en latin ), ce que j'ai désigné comme "compensation monétaire" se nomme composition , ce qui signifie qu'il s'agit d'une transaction entre coupable et victime ( on trouve  en effet aussi bien transigere que componere , Tacite, lui, emploie satisfactio, près de quatre siècles plus tard, Sidoine Apollinaire écrit : compositio seu satisfactio, les termes sont ici synonymes) et , point capital, cette composition n'est qu'une éventuelle substitution à la peine prévue par la loi.
   Fustel de Coulanges cite de multiples exemples, en voici quelques uns : "Que le coupable reçoive cent vingt coups sur le dos ou qu'il rachète son dos par trois pièces d'or " (Loi salique),  "Le coupable perdra la vie, ou bien il se rachétera suivant le prix qu'il vaut" (Ibidem) , "Qu'il soit châtré ou qu'il paye six solidi" (ib.) , le coupable "peut racheter son pouce au prix de cinquante solidi" ( Loi ripuaire).
   Cette composition, qui est un rachat de peine,  n'est pas un droit absolu : elle doit être acceptée par les deux parties, ce qui est de la nature de toute transaction.
   Quelle en est l'origine ?
   On la trouve chez tous les peuples anciens, rappelle Fustel de Coulanges, même dans le droit romain (mais "dans une très faible mesure" –vol, dol, incendie...), quant aux Germains du temps où ils ne vivaient qu'en Germanie, Tacite, qui est notre source unique , distingue entre d'une part  les peines et amendes prononcées par l'autorité publique et d'autre part entre des arrangements entre familles : pour un grand nombre de crimes, il ne peut y avoir composition. Et Fustel de Coulanges observe : "Le système des compositions avait donc ses germes à la fois dans les vieilles coutumes germaniques et dans quelques habitudes romaines."
   Mais voyons son évolution, et ce qui nous frappe, c'est qu'on le trouve très peu dans les premiers temps des rois mérovingiens et qu'il va se développer au fil des siècles – il sera d'autant plus présent que la "barbarie" ne sera plus qu'un lointain souvenir.
   "Loin que le système des compositions, écrit Fustel de Coulanges,  ait été très vigoureux à l'entrée des barbares et se soit affaibli dans les siècles suivants, la composition fut très contestée au cinquième et au sixième siècle, et grandit ensuite de génération en génération jusqu'au neuvième. C'est sous Charlemagne et Louis le Pieux que le système des compositions aura toute sa vigueur."
   Que s'est-il passé?
   L'action de l'Eglise catholique.
   Celle-ci, on le sait,  est résolument opposée à la peine de mort ( Ecclesia abhorret sanguinem ), elle va donc utiliser toute son influence, et tout son pouvoir, pour que les très nombreux crimes alors punis de mort (vol...) puissent être rachetés par la composition, et elle y parviendra.
   Alors ... loi barbare, ou loi chrétienne ?
  "Habitudes germaniques, pratiques romaines, esprit de l'Eglise, voilà les trois sources d'où est venue la composition de l'époque mérovingienne", conclut Fustel de Coulanges.

6 commentaires:

  1. Vous savez, j'ai bien peur que, pour certains de ceux qui se récrient, le christianisme lui-même soit une barbarie.

    RépondreSupprimer
  2. Robert Marchenoir8 août 2013 à 15:12

    La peine capitale est usuellement appliquée à l'auteur d'un crime ?

    La peine d'emprisonnement est usuellement appliquée à l'auteur d'un crime ?

    Vous avez vu ça où ?

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Aux Etats-Unis, en Arabie, au Yemen etc.

      Supprimer
    2. Robert Marchenoir9 août 2013 à 01:27

      Nous sommes bien d'accord. Donc pas chez nous, et pas en Occident de façon générale, avec une relative exception pour les Etats-Unis.

      Supprimer
  3. Ce système d'amendes s'applique à ceux qui ont quelques solidi. Quid de ceux qui n'ont pas un rouge liard ? Les absout-on ? Leur inflige-t-on d'autres peines ? Tout peut-il se racheter à prix d'or ou d'argent ?

    RépondreSupprimer
  4. Il ne s'agit nullement d'amendes, lesquelles sont, par nature, prononcées au profit du pouvoir public.

    Je ne peux résumer dans le détail tout ce qu'expose Fustel, mais il n'expose que ce que disent les sources, lesquelles sont loin de répondre à toutes les questions que peut poser un esprit moderne,et que ne se posait pas un esprit mérovingien.

    RépondreSupprimer