david in winter

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Editeur. Ecrivain. Dilettante

mercredi 28 août 2013

Syrie



    Monsieur Ali Faraz est d'humeur joyeuse. Il a fait de bonnes affaires au marché, et a très habilement négocié le prix de la dizaine de moutons qui trottent devant lui sur la route poudreuse. Fatima, son épouse, le suit à la distance prescrite, portant les lourds paniers emplis de provisions. Autour d'eux gambadent gaiement leurs jeunes enfants, espoir de leurs vieux jours.
    La ferme est proche, et bientôt Monsieur Faraz pourra , assis dans son fauteuil favori, se faire servir du thé, qu'il boira en rêvant à de langoureuses voluptés.
    --Boum ! , fait la bombe démocratique et solidaire.
    Monsieur Faraz a le sentiment d'avoir cessé de marcher. Contre son dos, dur, le sol. Monsieur Faraz est tombé. Il tourne la tête, l'une de ses jambes est proche de lui, presqu'à portée de sa main, l'autre, trop éloignée, inaccessible. Sur sa gauche, il reconnaît Fatima à ses voiles richement brodés, elle n'a plus de visage. Mêlés à des têtes et des pattes de moutons, des débris d'enfants parsèment le chemin, où se sont formées de rouges rigoles.
    Monsieur Faraz crie.

   Dans un vaste salon élyséen, le Président, entouré de concubines assorties, regarde les images que diffuse le téléviseur à écran OLED offert par l'émir du Qatar. La famille de Monsieur Fariz, filmée par satellite, apparaît dans toute sa diversité.
   La voix off d'une chercheuse en géopolitique équitable commente :
   --Une frappe chirurgicale a permis de détruire les réserves de gaz moutarde que la dictature dissimulait dans les ventres de moutons importés clandestinement de Corée du nord en violation de la résolution 12.369 ter de l'ONU.
   --Où ça se passe, ça ? demande une concubine qui, depuis son échec à une précédente élection, a décidé de s'informer sur les trucs qu'on voit à la télé.
   --En Styrie, répond avec assurance le Président.
   -- Et c'est où , c'te Styrie ?, s'enquiert la seconde concubine, soucieuse de ne pas faire d'erreur dans l'article qu'elle doit écrire pour un magazine à fort tirage, propriété de l'émir du Qatar.
   --Un instant..., le Président attrape son smartphone républicain, posé sur le beau bureau Pompidou, à côté d'un plateau où ruissellent de sucre et de miel des loukoums et cornes de gazelle , présents de l'émir du Qatar.
   Les minutes passent , pendant que le Président cherche l' appli qui le renseignera. Les concubines patientent en rédigeant sur des tablettes projets de lois et d'impôts nouveaux.
   --Tiens, c'est en Autriche, cette Styrie, énonce enfin le Président.
  --C'est plein de nazis, l' Autriche, remarque la concubine employée par le journal avec beaucoup de photos. Faut nettoyer...
    Au plafond, une ampoule jusqu'alors éteinte s'illumine d'une couleur verte très vive.
    --Vert, enfin ! s'exclame le Président. C'est Washington qui me donne le feu vert!
    Il attire à lui les concubines, leur caresse doucement la nuque. Il a un bon sourire. D'une voix ferme de chef, il dit :
    --Maintenant, à mon tour d'agir pour la démocratie.
      Dans le regard des concubines, l'admiration se mêle désormais à l'amour.

    Un quartier sensible et bariolé. A un étage quelconque d'un clapier dit logement social et citoyen, une pièce à vivre. En son centre, un grand téléviseur à écran OLED piqué dans un conteneur, sur le port fluvial. Devant, sur un canapé en cuir récupéré nocturnement dans les réserves d'un hypermarché voisin, est un assis un homme. Il est jeune. Il a un beau visage, les yeux noirs et brillants, des traits fins qu'encadre une barbe soigneusement taillée. Il regarde les images de Monsieur Faraz, de sa famille et de ses moutons, inégalement éparpillés de ci et de là. Sa machoire se crispe, ses poings se serrent.
    Le jeune homme se lève, ouvre le tiroir d'un bahut enlevé un soir au dépôt d'un brocanteur négligent, il en sort un pistolet et deux chargeurs.
    Il regarde l'arme, puis l'écran du téléviseur, les corps mutilés, le sang  -- l'horreur. Il n'hésitera pas. Il glisse le pistolet dans sa ceinture, les chargeurs dans une poche de son blouson.
    Il ouvre la porte, il sort.
    Il sait ce qu'il doit faire.

10 commentaires:

  1. Oui, il y a de quoi se faire du souci.

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  2. Superbe ! On retrouve l'esprit d'Une femme d'État, mais avec quelque chose de plus dense et, en effet, de plus inquiétant ; comme si le temps d'en rire était passé.

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    1. Je suis tout à fait d'accord avec la comparaison et l'aspect inquiétant :)

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  3. Je me faisais la même réflexion que M. Goux !

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  4. Il est clair que cela nous pend au nez. Tout ça pour aider les frères de ceux que nous combattons au Mali. Quelle logique ! Tout ça pour permettre aux barbus de l'emporter et de leur livrer les chrétiens de Syrie qui représentent 10% de la population. Tout ça pour permettre aux Syriens de goûter comme les Libyens, les Égyptiens, les Tunisiens, aux joies d'un moyen-âge coranique.

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  5. C'est rudement bien senti !
    Et notre Président rêve maintenant d'une appli pour frapper depuis son lit...

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  6. Il s'agit simplement d'une Ftina, alors qu'ils se massacrent entre eux.

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  7. Bonjour,

    Chapeau bas même si c'est inquiétant. J'apprécie particulièrement le passage central.

    Bonne journée

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  8. Merci à mes aimables correspondants.
    Et dans le monde réel, les pauvres voyous nommés "chefs d'Etat" massacreront au gré de leurs caprices , et sans savoir véritablement pourquoi ils le font.

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