david in winter

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Editeur. Ecrivain. Dilettante

jeudi 3 octobre 2013

Loi "sur le voile", loi scélérate





    Sous le règne de Louis XIV, l'abbé François-Timoléon de Choisy (1644-1724) qui nous a laissé de délicieux Mémoires et fut l'un des Quarante de l'Académie comme l'on disait alors, avait décidé de s'habiller en femme, de son lever à son coucher,  pour sortir dans les rues, aller au spectacle, se rendre dans les salons de beaux-esprits, bref  ne se montrer qu'ainsi vêtu. Nulle loi ne l'en empêcha, on le considéra d'abord avec amusement, puis l'on s'y accoutuma, sans moquerie ni encore moins indignation, l'abbé fut regardé, et admis, comme un excentrique, terme emprunté à l'astronomie et à la géométrie, et dont il est douteux qu'il fut alors employé dans le sens que je lui donne ici, mais si le mot n'était pas encore d'usage, la chose qu'il recouvrira était parfaitement vue : l'abbé avait choisi de se placer hors du centre de la société , ce centre où le plaçait pourtant sa condition de noble et de clerc.
   Il y eut jadis, sous la république, des lois contre le travestissement, je les crois abolies et n'ai pas pris la peine de vérifier, puisqu'une loi semblable, et radicalement scélérate, est désormais en vigueur.
    Cette loi, due à l'imbécillité vibrionienne de feu M. Sarkozy dit textuellement :
    "La dissimulation du visage dans l'espace public est interdite à compter du 11 avril 2011 sur l'ensemble du territoire de la République. Cette infraction est constituée dès lors qu'une personne porte une tenue destinée à dissimuler son visage et qu'elle se trouve dans l'espace public; ces deux conditions sont nécessaires et suffisantes."
   Pour la forme, cette loi est caractéristique de l'incompétence juridique de législateurs incultes puisque le caractère absolu de son premier paragraphe est suivi d'exceptions tour à tour définies ou laissées dans un vague propice aux interprétations multiples, ce qui détruit le caractére "nécessaire et suffisant"  d'abord énoncé.
 Sur le fond, je ne sais s'il est utile de rappeler que cette loi ne fut décidée que dans un dessein bassement électoraliste – il s'agissait de récupérer les voix de citoyens se trouvant agressés par la vision, pourtant assez comique, d'une dame marchant recouverte d'une sorte de sac conformément à des préceptes religieux d'origine exotique. Pour satisfaire ces chatouilleux agressés, le législateur enfonça le clou en incluant dans une énumération d' accessoires pouvant dissimuler le visage, entre masques et cagoules, burqa et niqab, le caractère étranger de ces vocables soulignant que la cible de la loi est bien étrangère , tout en y mélangeant dans une grande confusion son caractère universel.
   On connait l'effet de cette loi hypocrite, les incidents multiples qu'elle provoque et dont la relation répétitive concourt à rendre encore plus ennuyeuse la lecture des journaux; sur l'aspect de la prohibition des tissus mahométans, il suffit de dire qu'elle est une atteinte criminelle aux droits élémentaires des êtres humains – le droit de se conformer à sa croyance sans porter atteinte à la propriété d'autrui– et, pour en finir sur ce point qui ne devrait même pas être discuté, relevons que ce qui choque et fait éructer les "adversaires du voile", ce n'est pas la vision du voile, mais la vision d'un être humain qui, par le port de ce signe, affirme sa foi.
   Plus intéressant est ce qui n'a guère été remarqué, tant le pénible débat s'est réduit au seul voile , et est pourtant le texte même de la loi scélérate,  que je recopie à nouveau: " La dissimulation du visage dans l'espace public est interdite" , et que je souligne, parce que cette interdiction est passée dans l'opinion comme une lettre à la poste, sans que personne n'y prenne garde, ne sourcille, ne dresse l'oreille, et cette interdiction inimaginable il y a encore vingt ans n'a pas heurté, n'a suscité nulle protestation, parce qu'elle s'inscrit à merveille dans l'obligation de transparence qui désormais s'érige en norme, sous les applaudissements citoyens.
   Cette transparence est aussi surveillance, espionnage et délation,  de tous par tous, afin que soit abolie toute individualité.
   Pour vivre heureux, vivons caché, conseillait jadis la sagesse des nations  -- et c'est en prison que sera désormais envoyé se cacher l'excentrique  adepte de ce sage précepte.

3 commentaires:

  1. Si le seul problème que posent les porteuses (ou porteurs) de burka était d'être un tout petit peu excentriques, je vous suivrais volontiers. Je crains cependant que cette aimable coutume importée d'exotiques contrées soit difficilement compatible avec notre mode de vie. Elle manifeste davantage un refus catégorique de certaines de nos valeurs qu'une quelconque fantaisie. Elle est même le signe d'un désir de subversion d'une civilisation qui fut capable jadis de tolérer le bon abbé dont vous nous parlez.

    Je ne crois pas, pour des raisons de sécurité, il soit non plus souhaitable d'autoriser que l'on se promène casqué ou cagoulé sur la voie publique.

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  2. Avant cette loi scélérate, effectivement se promenaient dans les rues une foule de serial killers cagoulés et masqués qui assassinaient par dizaines les petits enfants oubliés sur les trottoirs.
    L'invocation à une pseudo-sécurité ne sert qu'à tuer nos dernières libertés, cher Jacques...

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    1. Pour une fois, je ne partage pas votre point de vue. Comme quoi tout arrive ! la liberté de se promener masqué ne me paraît pas fondamentale. Ce qui serait grave serait d'imposer le costume unique mais nous n'en sommes pas là et il me semble que pour ce qui est de se vêtir à sa guise, les drag queens prouvent qu'on n'a pas trop régressé...

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