david in winter

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Editeur. Ecrivain. Dilettante

jeudi 26 juin 2014

Scènes de ménage



   Je reçois ce matin Chroniques maritales et Nouvelles chroniques maritales ( un volume, Paris, 1944) de Marcel Jouhandeau., qui narre, avec le rythme d'un journal, sa vie conjugale avec Elise, surnommée Caryathis, ancienne danseuse que la galanterie semble avoir enrichie. Cette vie conjugale est une suite de querelles, dans lequelles le mari succombe, et qui font de l'ouvrage  un  long récit d'humiliations, subies avec une surprenante constance.
   Paul Léautaud a tenu au jour le jour le récit de sa liaison  --de dix-neuf ans...-- avec Anne Cayssac , qu'il appelle le Fléau, c'est une suite de querelles, d'injures, de rebuffades, que Léautaud rend. (Je suis dans une grande période de lecture de Léautaud – quel bonheur!).
   Marcel Jouhandeau est un chrétien tourmenté et un pédéraste hésitant, Paul Léautaud est un athée tranquille, et seul le corps d'une femme peut lui donner du plaisir.
   Jouhandeau publie du vivant d'Elise les tableaux de leur intimité ( il le fera annuellement à partir de 1956 avec ses Journaliers...); mon exemplaire est orné d'un envoi à un M. Edward Waterman qui se termine ainsi : "Croyez que Carya et moi nous sommes heureux de vous savoir de nouveau près de nous sous l'aile blanche de notre commun Père", ainsi Elise est-elle (religieusement..., elle aussi était fort dévote) associée au livre qui dévoile ses secrets les plus déplaisants.
  La plupart des textes de Léautaud sur le Fléau sont posthumes, il en a publié quelques extraits de leur vivant à tous deux, dans le Mercure ou dans Passe-Temps (lisez Admiration amoureuse !), pour faire rager sa maîtresse, et sans révéler son nom.
   Jouhandeau vit avec Elise comme un prisonnier enfermé dans un cachot avec le plus haïssable compagnon, Léautaud prétend ne partager avec le Fléau que le goût débridé du plaisir physique, et toutes ses phrases, de négation ou d'insulte, révèlent une passion qui est bien plus que celle des corps.
   Léautaud fut invité à déjeuner chez Jouhandeau, à peine était-il arrivé que devant lui Elise traita son mari d'idiot (etc. etc. ...), Léautaud n'invita pas Jouhandeau.
  Jouhandeau et Léautaud sont tous deux écrivains, le premier fait de la littérature, appliquée, élégante, froide,  le second écrit ce qu'il vit, nous le rend présent, nous le fait partager. Jouhandeau, ce n'est que des mots et des phrases – rien; Léautaud, c'est la vérité d'un homme.

*De Paul Léautaud sur Anne Cayssac, lire : Journal particulier (deux vol., Monte-Carlo,1956), Le Fléau (Paris, 1989) et, bien sûr, le Journal littéraire.
   Sur le scandale de l'indisponibilité actuelle de l'essentiel de l'œuvre de Léautaud et de la non-publication –près de soixante après sa mort! – des innombrables passages du Journal littéraire censurés par Marie Dormoy, il me faudrait trouver le courage d'écrire un billet.

2 commentaires:

  1. Je crois me souvenir que, quand on demandait à Élise Jouhandeau ce qu'il y avait de vrai dans ce qu'écrivait sur elle son mari (avec qui, tout de même, je vous trouve bien sévère…), elle répondait fièrement : « Tout est vrai ! absolument tout ! »

    Bien que plus indulgent que vous envers Jouhandeau, je suis d'accord pour placer Léautaud nettement au-dessus.

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  2. Mon appréciation sur Jouhandeau concerne le seul ouvrage cité ici.

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